Diagonale des fous 2013 - 164 km - 9900m D+

Vu mon numéro de dossard, je devais être un des tout premiers inscrits ... à moins que je ne sois devenu favori :)


Mardi matin: départ d'Annecy à 9h (train), décollage de Paris à 21h, arrivée à Saint-Denis à 9h.
Pas d'accueil à l'aéroport (trop tard parait-il); pas grave, je prend le bus et je marche un peu avec mes sacs pour trouver le stade de la Redoute et retirer mon dossard à 11h, soit 4 heures avant l'horaire d'ouverture prévu pour le Grand Raid. Il y avait un briefing prévu à 11h, mais à 11h30 rien ne semble bouger sur l'estrade. Bizarre cette organisation; il va sans doute falloir s'attendre à quelques autres surprises ces prochains jours. Mais après tout, j'ai de la chance, cela me permet de vite commencer mon voyage vers le sud de l'île pour aller me reposer. Je n'ai presque pas dormi dans l'avion, ce qui est un sérieux handicap pour une course impliquant 3 passages de nuit.

Je suis arrivé à l'Arpège Austral (Saint Joseph) vers 16h mercredi, après un périple de 4 heures en bus jaune local (très sympa comme expérience). Cette chambre d'hôtes est un petit coin de paradis que je vous recommande. Je m'y suis bien reposé, j'ai rencontré des gens très sympa et on y mange vraiment très bien. J'avais mon propre bungalow où j'ai pu organiser mes affaires en toute tranquillité.


Jeudi, 15h: départ de Saint-Joseph vers Saint-Pierre. J'y suis arrivé en bus jaune à 16h, très en avance. Cela m'a permis de somnoler un peu avant que le gros de troupes arrive.



Jeudi, 20h: on rentre dans l'aire de départ; remise des sacs pour les bases vie. Vérification du matériel obligatoire. Petite collation sous la tente. Il y faisait bien chaud, et j'ai pas mal discuté avec mes voisins (bretons, réunionnais, australiens, allemands). Un moment vraiment sympa.


Jeudi, 23h: go ! 25 minutes de course sur bitume, le long de la plage, dans une ambiance de folie ! Musique créole, applaudissements, tambours ... des milliers de spectateurs. Il fallait le voir pour le croire. Ensuite nous commençons la piste dans champs de canne à sucre. Toute ceci avec la pleine lune. Quel moment !



Jeudi, 23h40: premières douleurs au tendon du releveur. C'est ce que je craignais: suite de ma blessure pas tout à fait guérie depuis le Grand Raid des Pyrénées. J'ai le moral à zéro. Je ne me donne presque aucune chance de terminer cette course. Tant pis, j'irai un peu moins vite et aussi loin que possible en ajustant ma foulée pour qu'elle soit aussi détendue que possible et en marchant beaucoup. Je ne me suis pas rendu compte que ce n'était pas le releveur soigné ces dernières semaines qui me faisait des soucis, mais l'autre !

Au km6, premier ravito eau et coca. Bien trop tôt dans la course, donc je ne m’arrête pas.

Vendredi 1h15 - Ravitaillement rapide au domaine Vidot: gourdes, soupe, go! mon releveur commence à se calmer.

Puis vient la forêt Mont Vert les Hauts: une heure et vingt minutes d'embouteillages causés par des gens qui avancent bien sur route et piste, mais qui n'ont pas la technique nécessaire quand les chemins deviennent escarpés, boueux et ... monofiles. Beaucoup de coureurs râlent; nous grelotons tous. Mais cela finit par repartir. Tiens! je n'ai plus mal au releveur ... pourvu que ça dure. Mon moral remonte en flèche. Je commence à croire que j'ai une chance de terminer cette course!

Vendredi, 5h15 du matin: passage à Notre Dame de la Paix. Je n'ai pas trop sommeil. Tout va bien. Je prends juste de l'eau, du thé chaud, une banane et go! Je vois plusieurs personnes à l'infirmerie sous des couvertures de survie... étonnant vu que nous venons à peine de commencer la course. Nous avons de la chance: il fais frais mais pas vraiment froid; il ne pleut pas. Je suis en t-shirt à manches courtes avec juste un bandana autour du cou. Ça me suffit.

On peut facilement courir après le ravitaillement; c'est un chemin large, presqu'une piste. J'entends des centaines d'oiseaux chanter; je sens que c'est signe que le jour est sur le point de se lever. Encore un moment magique.

Mais cinq minutes plus tard je commence à sentir une gêne à mon psoas gauche. Ben voyons ! Heureusement que c'est la dernière course de la saison. Mon corps se désagrège! :)




Vendredi, 6h30: entre Notre Dame de la Paix et Piton Sec c'est une magnifique crête aux multiples montées et descentes. C'est magnifique! Le ciel est d'un impeccable bleu. Je découvre ces arbres "plumeau". Cette section est longue, mais dans un tel cadre, peu importe, il y a des moments où c'est bon d'oublier la course et de profiter au maximum de la nature.


Vendredi, 7h05: la descente sur piton sec permet de courir sur 4-5 km non stop. Je reprends une vingtaine de coureurs. Mes jambes vont bien; je sens un peu le psoas, mais la douleur est stable.



Vendredi, 7h30: Piton Sec. Bon ravitaillement. Révision complète du coureur (soupe, biscuits, séchage de pieds, NOK, rangement du sac, vidage de mes ordures). Le tout en 15 minutes chrono.

Vendredi, 9h06: nous sommes accueillis au Piton Textor par un hélicoptère qui vient chercher une personne blessée. Après le ravito, ça descend facile. On peut courir. Mais qu'il fait chaud ! Vivement que nous ayons quelques nuages pour nous protéger du soleil. Mon vœux est bientôt exaucé et même dépassé, puisque la brume se lève quand nous nous approchons de Mare à Boue. La plupart des coureurs autour de moi mettent le coupe-vent. Je persévère dans mon optimisme ... je veux croire que c'est juste une zone à passer. La météo me donnera raison dès notre arrivée au ravitaillement de Mare à Boue, après une affreuses section de route cimentée qui irrite mes 2 talons d’Achille. Décidément, je suis une ruine en fin de saison! Alors je marche.

Vendredi, 11h00: ravitaillement de Mare à Boue; quelle arnaque! Il n'y a même pas de Boue! J'ai une heure d'avance sur mon planning. Une pensée pour Fred qui a fait cette course l'année dernière dans des conditions bien plus difficiles. Chapeau bas pour être arrivé au bout. Au menu: poulet grillé et pâtes, soupe et coca. J'en profite pour envoyer un SMS à Pat et à Fred. Ravito bouclé en 12 minutes chrono.

A la reprise, je sens toujours mon talon d’Achille gauche et l'extérieur de ma cuisse droite.  Le psoas et le releveur se sont calmés.













Après Mare à Boue on voit que nous arrivons dans la section des paysages grandioses: paysages plus ravinés, nuages de brume, montée en puissance des bruits de vent. A ce stade j'ai toujours un gros doute quant à ma capacité de terminer la course. Les douleurs de tendon d’Achille me minent le moral. Mais je me dis qu'il faut absolument voir au moins un des 2 cirques. Après on verra.

A midi je commence à rattraper quelques coureurs, c'est motivant. Je prends du temps pour admirer ce paysage tropical. On dirait un jardin botanique. C'est juste magnifique cette végétation dominée par des arbustes qui dépassent rarement les 4 mètres de haut. La montée est douce jusqu'au pic des échelles.

Ensuite c'est le Coteau Maigre et ses échelles, puis Coteau Kerveguen qui monte sec pendant une petite heure. C'est un lieu paisible et ombragé où je croise une vingtaine de coureurs qui ont choisi différent endroits pour se reposer. J'honore mon surnom "le métronome" en montant pas trop vite, mais très régulièrement et sans pause. Naturellement, je reprends pas mal de gens qui montent plutôt par à-coups.











Vendredi, 16h15: Cilaos, 1ère base vie. J'ai 75 minutes d'avance sur mon planning. L'organisation de la base vie est bonne: je trouve mon sac d'assistance rapidement. Je m'assois donc en plein milieu de la pelouse du stade, je retire chaussure et chaussettes pour que mes pieds sèchent pendant que je refais mon sac. En 15 minutes tout est fini: recharge d'alimentation, changement des piles de la frontale, changement de chaussettes, NOK sur les pieds. Zou! je rends mon sac d'assistance et je vais vite sous la tente manger. Je conclus ma pause Cilaos en 35 minutes. Pas mal.

La transition vers le col du Taïbit est douce: les aiguilles de pin sur le chemin me font penser aux sentiers à la maison. A 18h30, dans les sous-bois il faut déjà mettre la frontale; on n'y voit plus rien. La nuit tombe vraiment vite à la Réunion. A 18h50 j'arrive au ravitaillement du pied du Taibit; il fait nuit noire. Beaucoup de coureur y trainent, procrastinent l'ascension qui promet d'être éprouvante. Il faut dire qu'il nous a déjà fallu plus de 2 heures d'approche! J'ai deux heures d'avance sur mon planning, 2.5 heures d'avance sur la barrière horaire; tout va bien.

Vendredi, 19h30: en plein ascension du Taïbit; j'ai prévu 1h20. Au fil de l'ascension je croise plusieurs coureurs arrêtés, les deux tiers vomissent. Certains m'ont pourtant dépassé voilà peu. Je n'ai jamais eu ce problème de vomissement. Peut-être parce-que je ne pousse pas trop la machine, ce qui me permet de finir fort et en bonne santé. Ou peut-être parce-que j'ai la chance d'avoir un solide appareil digestif. Ça compense pour mes autres limites: faiblesses côté tendinites et pas énormément de caisse.

Vendredi, 21h19: Marla. 2 heures d'avance sur mon planning. J'y avait prévu une pause de 30 minutes. Un peu avant ce ravitaillement, au Taïbit, j'ai fait la connaissance de Bruno, un agriculteur et trailer sympa. Il voulait dormir à Marla mais je l'ai convaincu que c'était trop tôt. Après un bon plat chaud (purée saucisses), nous continuons notre route ensemble.



Samedi, 1h du matin: en contre-bas de la plaine des Merles, nous nous sommes posés pour dormir. C'était dommage; il aurait fallut continuer pour trouver un endroit plus calme. Cela ne manquait pas sur le sentier scout. Au final j'ai dormi 20 minutes à peine, mais j'ai perdu largement plus d'une heure. Nous repartons avec Bruno, relativement en forme.

Samedi, 3h59: je passe un pont suspendu. Je suis parti un peu devant au sentier scout. Ça descendait sec sur un sentier large ponctué de marches entre 30 et 40 cm de haut. Bruno est resté tranquille derrière pendant que je faisait le fou à dépasser des dizaines de coureurs plus raisonnables que moi. Le chemin remonte vers Ilet à bourse, que j’atteins à 4h24, soit 3 minutes d'avance sur mon planning. C'est bon, j'ai rattrapé le temps perdu à la plaine des Merles.



Samedi, 4h24, Ilet à bourse: plein d'énergie, je ne passe que quelques minutes au ravitaillement. Un ravitaillement plus complet nous attend à Grand Place, dans 3 kilomètres. Et ... j'ai hâte de voir le lever du jour. Je ne vois pas Bruno, alors je fonce. Nous nous étions entendus comme cela. Je vole à nouveau par dessus les grandes marches conçues pour faire mal aux jambes des coureurs pas bien raisonnables comme moi. J'ai oublié mes blessures de début de course; elles ne vont pas l'oublier ...

Samedi 5h18, Grand-Place Bas. J'ai 12 minutes d'avance sur mon planning. Il ne fait pas encore tout à fait jour. Je mange un morceau et je NOK mes pieds abondamment. Bruno me rejoint, je l'attends un peu et nous repartons ensemble. J'ai la pêche dans la montée; ma recette "un verre de soupe, puis un verre de coca" marche toujours. Mais après 10 minutes de descente vers la rivières des galets, je sens que mon releveur droit fait des siennes à nouveau. J'ai des soucis de talon d'Achille aussi (le gauche). Je temporise et Bruno part devant. Le spectacle est magnifique; la rivière se passe sans mettre les pieds dans l'eau. Heureusement que nous sommes en période de sécheresse.



Samedi 8h00, que le chemin vers l'Ecole de Roche Plate est long! Il commence à faire très chaud. Je temporise pour mon releveur et aussi pour ne pas partir en insolation. C'est interminable quand ça fait mal. Mon releveur empire avec le temps et mon talon d'Achille m'inquiète. C'est le plat et la descente qui posent problème. Mais je suis content; j'aurai au moins vu les 2 cirques: Cilaos et Mafate. J'ai hâte d'arriver en haut pour prendre des photos.


Ci-dessous le mur de Maïdo tête dure. Je comprends maintenant pourquoi les gens appellent ça un mur. Je me demande bien par où passe le sentier.


Samedi 9h07, Roche Plate. 9 minutes d'avance sur mon planning. Enfin, je vais pouvoir m'essayer à cette montée. Je rejoins Bruno au ravitaillement et nous repartons ensemble. J'ai pris soin de bien remplir mes 2 gourdes et de boire tout ce que je pouvais avant de partir. J'ai calculé 2h30 de montée. Les bénévoles nous informent qu'il n'y a pas d'ombre une fois les 200 premiers mètres de dénivelé franchis. En fait, ce n'est pas exact; la roche offre un bon nombre de zones ombragées.




Montée du Maïdo. Le soleil cogne fort ! Pas un seul nuage visible dans la première partie de l'ascension. Et mon genou gauche qui se met à partir en tendinite! Je dis à Bruno de ne pas m'attendre. Mon altimètre est précieux. Je divise la montée en sections. Je compte sur le fait qu'à 1700m la température sera plus basse qu'à 1500m. Psychologiquement ça aide de considérer que plus je monte, plus l'altitude gagnée m'offrira un refuge. Je croise quelques randonneurs qui m'encouragent. Quelques coureurs me dépassent, puis je les rejoins quand ils font une pause à l'ombre. Mon style consiste plutôt à monter sans m'arrêter, à un rythme lent et régulier. Je suis le métronome ... Le sentier est bordé d’arbustes de 2m de haut. Il y a bien des marches, mais rien de trop difficile à franchir. A part une petite crête dans les 1500m d'altitude, rien ne donne le vertige.




Quelques photos du cirque de Mafate avant de le quitter ... pure beauté sauvage! Je fais un petit détour vers une table d'orientation. Allez! autant faire un peu de tourisme.

Samedi 11h57, Maïdo Tête dure, 11 minutes de retard sur mon planning. La petite surprise c'est que le ravitaillement ne se trouvait pas au sommet de la montée, mais 2 km plus loin, derrière une dizaine de collines. Par contre, quel accueil musical! Ça c'était de l'ambiance. J'en ai fait une jolie vidéo.

49 minutes chrono au ravitaillement pour des soins Kiné: un strap pour soulager le releveur droit et un autre strap pour soulager le talon d'Achille gauche. Je prends bien garde de ne pas m'allonger sur la table, de peur de m'assoupir "perdre le ju" - ça m'était arrivé sur le Grand Raid des Pyrénées 2 mois plus tôt.

Samedi 12h45, c'est reparti vers Sans Soucis. Une longue descente en perspective. Le terrain est très facile. Je cours des petits bouts, mais ça ne passe pas. J'ai mal à chaque foulée. Question moral, je sombre à nouveau au fond du trou. Je fini par virer le strap du releveur. Il ne m'aide pas du tout. Ensuite Bruno me rejoins un peu avant Ilet Acide. Il a pioncé une heure à Maïdo Tête Dure avant le ravitaillement. Il me propose sa bombe à froid. Je tente; je me brûle; et j'ai toujours aussi mal. Bruno reste une bonne heure avec moi et je suis content quand il finit par partir devant. Je ne pense qu'à une chose: arrêter à Sans Soucis. Et puis ... une fois la descente terminée ... je commence à trouver une façon de marcher qui ne me fait pas trop mal. Alors je commence à penser à atteindre au moins Halte-Là. Je voudrais bien la voir cette rivière que nous allons traverser. J'imagine que cela sera magnifique.






Samedi 16h25, Sans Soucis. J'ai 1h20 de retard sur mon planning et 3h20 de marge sur la barrière horaire. Je me pose un moment et je vois ... des crêpes ! Yes! A la Nutella, à la confiture; j'en ai mangé au moins 4 ou 5 ! Après tout j'ai de la chance, je n'ai jamais de soucis de digestion; alors enjoy! Après 10 minutes de repos, go! 600m de bitume, puis c'est un chemin de zone agglomérée qui nous conduit vers le lit de la rivière des galets. J'ai mal en descente, mais dès que je suis sur le plat je trouve une façon de courir à petits pas qui me va. J'apprends à courir avec mes douleurs; au lieu de m'arrêter dès que j'ai mal, je continue et j'ajuste ma foulée (en décontractant) pour avoir le moins mal possible; je me dis que l'endurance c'est aussi de vivre avec ses douleurs. J'enchaîne 15 minutes de course sur la piste le long de la rivière aux galets; c'est plat; c'est aride; c'est moche; mais je suis sur mon nuage de bonheur! J'ai trouvé la clé qui va me permettre d'atteindre La Redoute, aucun doute! Je dépasse un coureur qui marche courbé comme un vieillard. Deux locaux l'accompagnent. Je lui demande ce qui ne va pas; son dos est coincé. Il faut qu'il atteigne la base vie Halte-Là pour une intervention des kinés.


Le passage de la rivière est sympa; il y a un peu d'eau alors il faut sauter de galet en galet. Je pleins le pauvre gars au dos cassé; il ne va pas aimer les acrobaties. Sur le reste du chemin, vers la base vie je croise 5-6 passants. Ils m'encouragent et me donnent tous un estimation du reste à parcourir pour atteindre le ravito. C'est marrant, ils ne sont pas tous d'accord. Mais je m'en fiche, je suis content d'être là, et d'être toujours en course. Je reviens de loin ... Cette section de la course varie entre piste et chemin large qui monte et qui descend derrière de rares maisons. Rien de très joli... c'est une transition.



Samedi 17h45, Halte-Là. J'ai 1h30 de retard sur mon planning et 4 heures de marge sur la barrière horaire. Je vais choper mon sac d'assistance et je l'emmène dans la zone des kinés où je réserve ma place (je suis en 3ème "position"). Je vais chercher une assiette bien garnie de riz + poulet grillé et je reviens m'assoir devant mon sac pour manger en attendant les soins. Je retire chaussures et chaussettes pour que mes pieds sèchent en mangeant. Je calcule que si jamais j'ai fini de manger avant que ce soit mon tour pour les soins, je peux enchainer avec l'utilisation de mon sac d'assistance pour préparer la dernière section de la course. Mais à peine mon repas terminé, il m'appellent pour les soins. Ils me refont mes 2 straps (releveur et talon d'Achille). Je me laisse convaincre de passer chez le podologue; avec le recul c'est dommage, ce n'était pas nécessaire; mes pieds font mal, certes, mais ils sont en très bon état après 130km de course (préparation pré course très efficace -- hydratation quotidienne sur 15 jours; pas de tannage). Ensuite je reviens vers mon sac d'assistance prendre ce dont j'ai besoin pour la dernière section de la course (réserve alimentaire, NOK, maillot de rechange). Et juste avant de partir, un journaliste vient recueillir mes impressions. Sympa ... le soleil se couche. J'ai oublié le chrono. Je suis juste heureux d'être là, d'avoir pris le départ de cette course malgré tous les soucis de tendinite que j'ai du gérer depuis le Grand Raid des Pyrénées. Comme quoi il faut savoir prendre des risques dans la vie; savoir accepter d'échouer pour réussir. Dans la limite du raisonnable bien sûr ... :)



Samedi 19h45, j'avais prévu 1h30 à Halte-Là. Je repars après 2 heures de pause ...  C'était bien la peine d'optimiser ! Des gros progrès à faire. Enfin, il fait nuit maintenant; je repars avec un mental gonflé à bloc. Je boite une peu, le temps de m'adapter à mes straps très serrés. Je traverse quelques quartiers très animés; encouragements à gogo, musique, danses créoles, le pied. J'accroche un petit groupe; certains font le trail de Bourbon. Je suis en forme, je monte à 12m/min, tout va bien; je ne pense plus à mes diverses douleurs. Je suis tellement content d'avoir décidé de continuer l'aventure à Sans Soucis!

Samedi 21h13, chemin Ratineau. 1h15 de retard sur mon planning, mais 3h30 de marge sur la barrière horaire. A nouveau, j'accroche un petit groupe; des coureurs locaux qui connaissent très bien le chemin. Heureusement, car ça monte, ça descend, ça tourne à droite, à gauche. On alterne entre parcours du combattant dans les bois et passages de galets qui font partir les chevilles; je ne vois plus trop les balises, mais le gars que je suis a l'air de vraiment bien connaitre; il fonce et je suis. 6km c'est long! Ce gars est super régulier et solide, sauf que ... 500m avant La Possession il s'arrête et vomit! Il me retrouvera au ravito.

Samedi 23h33, la Possession école. 2h de retard sur mon planning (et pourtant on a dépoté!), mais 4h15 de marge sur la barrière horaire. Suivre un groupe m'a usé. Pour la section suivante, j'ai envie d'y aller à mon rythme. Je mange un peu de soupe + coca et c'est reparti. Je décide de ne pas dormir; il me reste 15km pour atteindre Colorado; rien de dangereux; alors go! Le tout pour le tout. Un km de bitume avant d'aller en découdre avec ce chemin des Anglais.


Dimanche 01h30, chemin des Anglais. Ça fait une heure que j'ai perdu la boussole. Je n'ai jamais atteint ce niveau de perte de lucidité. En fait, j'ai vraiment l'impression de lutter contre la démence. Non seulement j'ai des hallucinations (normal, je connais), mais je ne me souviens plus que je fais une course; même en regardant mon dossard et mon plan de course, j'ai du mal à m'en convaincre. Les quelques notes vocales que j'ai enregistrées pendant cette période sont totalement incohérentes. J'y parle d'épreuve olympique, de roman Anglais et de promesse que j'ai faite à ma femme. J'arpente une section du chemin (oui, je reviens à contre sens), cherchant les limites du terrain où j'ai prévu de bâtir. Je projette aussi où sera positionnée la mairie ... tant qu'à construire, pourquoi pas un village ? Et il y a ce mec asiatique qui vient poser sa couverture de survie pour se faire un lit ... sur ma propriété ! Deux-trois coureurs me demandent si je vais bien ... je réponds que oui et ils continuent leur chemin. Je n'ose pas demander de l'aide. J'ai honte; je deviens fou ! Je veux m'allonger dans ma chambre, mais je ne la trouve pas. Et pourtant je suis certain que ma maison est ici. Je m'énerve ... tout en restant calme. Je retrouve un peu de lucidité: il faut que je sorte de là; il suffit de suivre les coureurs qui me dépassent très régulièrement. Mais ils se trompent. Le chemin des Anglais n'est pas si long; il continue sur une piste ... et on aurait du l'atteindre depuis longtemps. Je fais demi-tour et je reviens vers ma propriété... Je dois m'allonger. Je trouverai la solution après avoir dormi un peu. Mais pourquoi je suis toujours debout ... ah oui, je ne trouve pas mon lit.

Dimanche 7h00, les serre file me réveillent; je suis le dernier de la course. Mes jambes sont engourdies, mais je me sens reposé. J'ai du dormir un peu plus de 5 heures. Les bénévoles me pressent; pas sûr que j'atteigne le ravitaillement avant la barrière horaire. Go !

Dimanche 7h19, Grande Chaloupe. 4 minutes derrière la barrière horaire. Une dame pas très aimable m'informe que je suis hors délais; qu'elle n'y peut rien, que le système informatique décide. Mais comme le système informatique ne m'enlève pas mon dossard :), je repars aussi sec. On verra bien comment l'organisation traitera mon cas.




Dimanche 8h33, j'atteins l'agglomération des bambous en 1h10 depuis Colorado, au lieu des 1h52 prévus sur mon planning. Je suis à fond: 40 minutes plus rapide que prévu! Il restait encore des zones pavées, mais moins d'1km. Nous prenons de l'altitude avec la mer à notre gauche. Çà commence à sentir l'arrivée. Mais la chaleur monte ... Je dépasse un bon nombre de coureurs; certains font le trail de Bourbon ! J'y vais à l'altimètre; je sais que le dernier sommet de la course est à 709 mètres d'altitude. Nous alternons chemin / piste. Rien de technique: seule la chaleur est un défi. A 9h du matin ça cogne dure. Le ciel est parfaitement bleu. Pas un nuage. Certains commencent à faire une pause assise à l'ombre, les rares fois que c'est possible. J'en fait une pour la première fois juste avant Colorado. Je mange un peu, je range mon anorak, je NOK mon talon d'Achille gauche qui m'embête depuis 3 heures, et j'échange pour maillot contre le débardeur de l'organisation, obligatoire pour le finish. C'est ma dernière pause.






Dimanche 9h56, Colorado: j'arrive au ravito avec mon sachet Ziplok contenant encore une trentaine de cacahouètes de Wasabi. Je le complète avec des tucs, 3-4 bouts de banane, 2 mini sandwichs jambon fromage, pour enchaîner avec moins de 2 minutes d'arrêt. Je n'avais jamais goûté de la banane à la Wasabi. Miam! Et les Tucs à la banane ... un régal. Après presque 60 heures de courses, mon digestif accepte encore ces abus ... j'ai de la chance !


Dimanche 10h53: c'est déjà fini ! J'ai fait une descente à fond la caisse. Mes cuisse en tremblaient. J'ai répété un nombre incalculable de fois "pardon ... merci ... je passe à gauche ... pardon merci". Une fois terminés les cacahouètes Wasabi, quand j'ai vu que je pouvais peut-être terminer avant 11h, je suis parti comme un fou. Tant pis pour les cuisses, tant pis pour les chevilles. Comme un gamin, j'y ai pris un plaisir monstre ! Moi qui étais bon dernier, j'ai repris une centaine de places et je termine 7h devant la barrière horaire. Elle est pas belle la vie ???



Une fois arrivé, je retire mes chaussures et je marche un bout en chaussettes. Je vais chercher mon sac d'assistance, j'appelle ma chérie, je prends une bonne douche, je me brosse les dents (ça faisait longtemps!), je passe chez le kiné qui panique un peu quand je lui dit que je prends l'avion dans quelques heures. Je mange épicé+++ ... taxi ... arrêt pharmacie de garde pour acheter des bas de contention (ordre du kiné) ... les nanas se marrent ... Aéroport ... cadeaux pour la famille, toilettes pour enfiler les bas ... avion, je zappe le décollage ... taxi ... embouteillages ... Gare de Lyon ... Face de bouc ... Annecy ... Pat ... maison ... tout ranger ... machine à laver .... dodo ... Genève ... boulot mardi matin ... Fred à midi ... Blues ... vive la VIE !


Epilogue

Je fais de l'ultra trail depuis 2004; presque 10 ans déjà; mais chaque année je "découvre" de nouveaux principes qu'il vaut mieux respecter pour faire une course dans les meilleures conditions. Voici mes principales découvertes sur cette course:
  • repos: j'aurais du arriver au plus tard dimanche, 4 nuits sur place pour pouvoir véritablement commencer la course sans dette de sommeil. Cela permet aussi de visiter (un peu) l'île, se faire des points de repère.
  • demander de l'aide: pendant mon délire sur le chemin des Anglais, j'aurais du simplement demander de l'aide mentale aux autres coureurs: avouer que j'étais perdu, déboussolé et leur demander de me rappeler pourquoi j'étais là (et oui ...), où nous étions, ce qu'il fallait faire, sur quoi il fallait se focaliser. J'avais honte ... et il n'y avait pas de quoi.
Quand j'ai pris le départ de cette course, je ne donnais pas cher de mes chances de la terminer. Je suis tellement heureux maintenant d'avoir pris le risque. Quelle aventure ! Et au final, je n'ai pas vraiment eu de courbatures; quelques raideurs, mais rien qui ne m'a empêché de descendre les escaliers tout à fait normalement le jour suivant.

2 commentaires:

Maido a dit…

Merci pour ce récit, très sympa. Tu arrives à rendre légères des douleurs qui ne le sont vraiment pas. Chapeau!

Anonyme a dit…

on s'est pas mal croisé ;-) moi aussi avec une cheville en vrac et pas d'entrainement depuis fin août , je me donnais pas beaucoup de chance d'en finir, félicitation pour ton courage et ce récit, au plaisir! sur un autre grand raid
pascal dossard 1787